mercredi 7 décembre 2016

L'Arbre généreux, un librairie qui nous branche

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À l’heure où du fond des bois croassent sur l’avenir du livre les oiseaux de mauvais augure, certains irréductibles préfèrent écouter leur optimisme et, surtout, leur amour des textes en tous genres. C’est dans les habits neufs aux senteurs boisées d’une nouvelle adresse soissonnaise que nous reçoit, en famille, le jeune et enthousiaste libraire Julien Cranskens, heureux de nous faire découvrir les beaux fruits de son bien nommé Arbre Généreux.
Pour la librairie qu’il a ouverte le 27 novembre 2015 à Soissons, dans l’Aisne, Julien Cranskens, 34 ans, a choisi un nom au parfum d’enfance, puisqu’il s’agit du titre d’un album jeunesse signé Shel Silverstein (L’École des loisirs). « Un album qu’enfants, on aimait beaucoup », nous explique-t-il aux côtés de sa sœur Caroline, qui vient régulièrement lui prêter main-forte. « Bien sûr, l’arbre évoque le papier, et l’adjectif généreux sonne comme une sympathique invitation... J’ai donc voulu un lieu sympa dans une ambiance boisée ! » – et en déambulant dans les espaces de son échoppe, on pressent le pari réussi.
 
Si Julien nous apprend avoir un temps songé nommer le lieu Les Illuminations pour ses « beaux échos » rimbaldiens, c’est in fine la sobriété de l’image de l’arbre qu’il a privilégiée. 
 

Coups de cœur, d’hier à aujourd’hui 

 
Ce goût revendiqué de la sobriété, on le retrouve dans les choix personnels qui irriguent les conseils dont il n’est pas avare. Au moment de notre entretien, il s’enthousiasme pour Mes Amis d’Emmanuel Bove. Paru, heureux hasard des noms forestiers, chez L’Arbre Vengeur ! « Je conseille aussi vivement Un Dernier Verre au bar sans nom, l’ultime roman de Don Carpenter chez Cambourakis, sur un groupe d’écrivains, des années 1950 aux années 1970 sur la côte Ouest des États-Unis, pour qui tout se délite. J’apprécie beaucoup la justesse et, là encore, la sobriété de son écriture. »
 
Les préférences de L’Arbre vont aussi vers des objets littéraires à la fois inattendus et en prise avec le monde d’aujourd’hui, comme Le Dehors de toute chose où Benjamin Mayet reprend une partie de La Zone du dehors, le roman SF culte d’Alain Damasio : « Cela donne un poème sur le thème très contemporain de la lutte et des dérives sécuritaires. » 
 
Pour partager ces choix, L’Arbre Généreux fait paraître régulièrement La Feuille, « une lettre avec des critiques, des portraits, des conseils, et aussi l’agenda du lieu : nous proposons chaque mois des contes pour enfants autour de lectures thématiques, nous accueillons des auteurs, le poète Sylvain Pistone viendra lire des textes d’Arthur Rimbaud... » Dans les colonnes de La Feuille, ces informations côtoient donc les nouveautés, mais aussi les coups de cœur issus du fonds. Caroline Cranskens s’y enflamme pour William Burroughs, Carson McCullers ou Fernando Pessoa – un auteur dont, en cette matinée de finale de Coupe d’Europe France/Portugal où nous nous rencontrons, Julien s’amuse à souligner le succès : « Le Livre de l’intranquillité se vend très bien ici ! » Dans sa vitrine et ses rayons, il renouvelle très fréquemment des ouvrages mis en avant en marge de l’actualité des sorties, « par exemple je trouve que c’est le moment de mettre bien en vue Les Falaises de marbre de Jünger, ça ne fait pas de mal ». 
 

Sous les meilleurs auspices 

 
Pour constituer ce fonds au cours de ses premières semaines d’exercice, Julien estime « avoir été très bien accueilli par les représentants du secteur qui ont bien saisi nos goûts, la tonalité du lieu, et nous ont aidé à affiner nos commandes. » Ce bon accueil des professionnels se traduit aussi par une assez idéale entente avec les autres libraires de la ville : « Les relations sont très bonnes, il y a même des collaborations comme prochainement avec Inter Lignes autour d’une exposition sur les femmes d’écrivains. »
 
Le jeune libraire cherche la complémentarité avec ses voisins, « Inter Lignes a par exemple un excellent rayon régionalisme, nous n’avons donc pas cherché à aller sur ce terrain », explique-t-il avant d’ajouter que « Soissons se porte plutôt bien pour les librairies par rapport à d’autres villes des environs. » 
 
C’est aussi du côté de clients déjà fidèles que l’accueil s’avère chaleureux, et Julien constate que ses partis pris plaisent, recevant de nombreux échos positifs. « On nous pose beaucoup de questions, mais on nous conseille aussi des ouvrages, c’est vraiment un échange mutuel », nous précise-t-il, ravi. Les clients, pour parfaire cet échange, sont d’ailleurs invités à contribuer à La Feuille. Tous les espaces de la librairie sont plébiscités, de la littérature jeunesse (« ce qui marche le mieux ») aux sciences humaines. 
 
« Le choix d’essais surprend souvent. Les sciences humaines, la musique, le cinéma et la poésie sont assez peu travaillés par les confrères à proximité. Le succès de ces sections est vraiment une bonne surprise. Alors que la poésie, par exemple, est plutôt devenue le parent pauvre des librairies généralistes. Et je compte développer le rayon Beaux-Arts. » 
 

Des racines et un sens 

 
Les choix de Julien Cranskens dessinent une identité à la fois généraliste et personnelle. Un beau pari pour ce quasi-autodidacte qui, sans formation préalable, a appris son métier en travaillant aux côtés de deux libraires qui successivement l’ont inspiré : « De Xavier de Marchis, au sein de la libraire Contretemps à Paris 7e, j’ai appris un certain sens de la lutte, avec sa défense farouche de la diversité des approches éditoriales, et de Nadia Champesme, chez Histoire de l’Œil à Marseille, un investissement sur le champ de l’ouverture culturelle, de la rencontre, des multiples formes artistiques. »
 
Quant à lui, il souhaite avant tout mettre en avant le travail des éditeurs, « notamment des petits éditeurs qui font de très belles choses et sont peu présents sur les têtes de gondoles des grandes enseignes. C’est un ancrage qui est appelé à se développer : Élise Bétremieux des Venterniers à Saint-Omer est venue ici présenter son magnifique travail d’édition artisanale et Serendip sera bientôt invité ».
 
Celui qui fait pousser ce bel arbre « compte donner encore plus de place à la littérature » et aborde un contexte qu’on dit difficile avec autant de philosophie que de sourire. « Et puis gagner sa vie c’est presque anecdotique... c’est avant tout un travail qui a du sens », concluent frère et sœur d’une seule voix. 
La rédaction - 06.12.2016
 

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